

Par Denise Kyalwahi
À Butembo, l’ingestion de corps étrangers est devenue un fléau pour les petits ruminants, provoquant maladies et décès en série. Dernier cas en date : une chèvre a dû subir une intervention chirurgicale à la clinique vétérinaire de l’Institut Technique Agricole et Vétérinaire (ITAV) pour extraire une masse de déchets plastiques bloquant son estomac.
Un estomac saturé de déchets plastiques
Tout a commencé par une exploration diagnostique. Le docteur MUMBERE MURUSI Toussaint, médecin vétérinaire en chef de l’ITAV, et son équipe ont découvert que le rumen de l’animal était rempli d’aliments avariés, mêlés à des plastiques, caoutchoucs, cordes, éponges et un sac à vessel. Un cocktail mortel pour cet animal errant.
Face à l’état critique de la chèvre, le vétérinaire a pratiqué une ruminotomie, une opération qui consiste à ouvrir le rumen (premier compartiment de l’estomac) pour retirer les déchets.
« Sans cette opération, la chèvre serait morte », affirme le Dr Toussaint MURUSI. « Ce que nous avons trouvé dans son estomac est inimaginable : des morceaux de sacs, des cordes, des éponges, des sacs à vessel… Cela prouve à quel point nos déchets polluent l’environnement et mettent en danger les animaux. »
Une responsabilité partagé entre éleveurs et habitants
Selon le vétérinaire, ce drame est la conséquence d’un double relâchement : le laisser-aller des éleveurs et l’incivisme des communautés locales.
« Beaucoup de familles confient leurs troupeaux à de très jeunes enfants, qui, épuisés après l’école, ne surveillent pas où vont brouter les bêtes. Pendant ce temps, les déchets plastiques et autres ordures sont jetés à ciel ouvert. Résultat : les animaux ingèrent tout ce qu’ils trouvent », déplore le chirurgien Toussaint.
La situation s’aggrave encore avec le réchauffement climatique et la raréfaction des pâturages. « Quand l’herbe disparaît, les animaux divaguent à la recherche de nourriture et mangent n’importe quoi. »
Une prise en charge rigoureuse
L’opération a permis de sauver la chèvre, désormais en phase post-opératoire. L’équipe applique des soins stricts :
Sanitaires : antibiothérapie et hygiène rigoureuse.
Alimentaires : contrôle du régime alimentaire après l’intervention.
Environnementaux : l’animal doit rester à l’abri de toute pollution.

Le docteur Toussaint appelle la population à une responsabilité collective, à observer une pratique éco responsable envers l’environnement pour sauver des vies. « J’appelle les habitants de Butembo et environs à bien prendre soins de l’environnement, bien gérer leurs déchets ménagers et autres pour protéger la santé des humains et celle des animaux. A toute suspicion sur un cas de maladie ou de disfonctionnement chez les animaux de venir faire consulter et soigner leurs animaux de tout genre de maladie à la clinique vétérinaire de l’ITAV/ Butembo. Je vous assure que nous avons une équipe bien calée à la matière. Nous avons deux médecins permanents. Nous avons aussi un assistant vétérinaire permanent. Ne tuez pas votre bête à cause de l’ignorance, parce que vous pensez que les animaux ne guérissent pas. En tout cas, nous sommes là pour ça», rappelle-t-il.
Il encourage également les jeunes éleveurs à faire preuve de discipline et de vigilance. « Blesser la nature, c’est blesser l’animal et l’homme », rappelle-t-il.
Des chiffres alarmants
Cette situation locale reflète une tendance plus large. D’après une étude dirigée par le Dr Vihundra MUYISA, chercheur et enseignant à l’ITAV, l’ingestion de plastiques est une cause silencieuse mais fréquente de mortalité lente chez les chèvres en milieu urbain.
Une analyse faite par le Docteur Vihundra MUYISA, chercheur et enseignant à l’ITAV indique que chez les chèvres en élevage libre ou urbain, l’ingestion de sachets plastiques est une cause fréquente et silencieuse de mort lente.
Dans un travail de fin de cycle qu’il a dirigé, les recherches montrent que
“Cliniquement apres examens de palpation abdominale, 57 sur 62 chevres ont été malades soit 92 pourcents des cas. C’est un fleau qui frappe aujourd’hui les ruminants dans notre ville. Un rumen plastifié (plein de sachets) peut contenir jusqu’à 2 à 5 kg de déchets non digestibles !”Ce résultat renvoie à une conclusion qui estime que plusieurs centaines de milliers de chèvres meurent chaque année dans le monde à cause des déchets plastiques, surtout en zones rurales africaines Pour lui, il estime qu’il n’existe pas de statistiques mondiales précises, mais dans plusieurs études locales (Afrique, Inde, Asie), on estime que :“10 à 30 % des chèvres urbaines ou semi-urbaines ont des corps étrangers dans le rumen à l’abattage. La mortalité directe due à ces objets peut atteindre 15 à 25 % dans les cas extrêmes (surtout lors de pénurie alimentaire ou en saison sèche, où elles mangent tout ce qu’elles trouvent). Ces chiffres sont plus élevés dans les zones sans gestion des déchets, où les chèvres errent librement.”
Les conséquences sont graves : un rumen « plastifié » peut contenir 2 à 5 kg de déchets non digestibles, entraînant des lésions graves, voire la mort. L’étude pointe la divagation comme principal facteur de risque.
Un fléau mondial
Le phénomène dépasse les frontières de Butembo. La nature de corps étrangers chez les petits ruminants à Butembo est marquée par la prédominance des sachets plastiques (69,6%). Cette tendance soulève des préoccupations sur la gestion des déchets et l’impact de l’urbanisation sur la santé animale. Les sacs (24,39%) et les étoffes (6%) constituent également des catégories notables. 13 sur 57 patients, soit environ 22,8%, présentent des lésions macroscopiques, telles que l’atrophie de papilles ruminales, due à la présence de corps étrangers dans le rumen. En revanche, 44 patients, représentant 77,2%, ont une muqueuse normale.
En Afrique, en Inde ou en Asie, 10 à 30 % des chèvres urbaines ou semi-urbaines ont des corps étrangers dans l’estomac au moment de l’abattage. La mortalité liée peut atteindre 15 à 25 % lors des saisons sèches ou en période de pénurie de fourrage.
Au Nigéria, sur 180 chèvres abattues, 65 % avaient des corps étrangers, dont 80 % étaient des plastiques.Au Kenya, dans les abattoirs urbains, près de 20 % des chèvres mortes naturellement avaient des intestins obstrués par du plastique.Les conséquences sont lourdes : ces corps étrangers provoquent environ 29 000 morts de bovins par an en France, sans valorisation possible des carcasses, ce qui représente un impact économique et sanitaire important, indique Terre des bourgogne.
En France, selon l’ANSES, jusqu’à 60 000 bovins par an souffrent d’infections ou de tumeurs provoquées par des déchets ingérés dans les pâturages. Dans un rapport d’expertise collective publié en Octobre 2021 par l’Anses on pourra facilement lire « toutes les études concordent. Les vaches, les chèvres en broutant l’herbe, en mangeant du foin et du maïs ensilé avalent des déchets métalliques et des déchets de plastique. Ces ingestions provoquent des tumeurs, des infections, des maladies mortelles. En France, Interbev (interprofession bétail et viande) estime en 2014, à 60.000 le nombre de gros bovins victimes de tumeurs et d’infections provoquées par l’accumulation de déchets dans la panse. Ces 60.000 victimes font l’objet d’une saisie partielle ou totale dans les abattoirs, et dans ce dernier cas leur viande n’est pas commercialisée. Pour Robin des Bois, ce phénomène est lié à la présence, sur les lieux de pâturage, de déchets abandonnés : pas seulement les pneus usagés qui servent dans les élevages pour maintenir les bâches d’ensilage, mais aussi tout type de déchets non gérés au quotidien, non seulement par les éleveurs mais également au travers d’actes d’incivilité (abandon de canettes dans la nature, etc. …)». L’Association s’interroge sur l’impact de ces éléments sur lasanté et le bien-être des animaux, ainsi que sur la santé publique.
Une nécessité d’agir
Pour Butembo, cette opération est un signal d’alarme. La clinique vétérinaire de l’ITAV, située à Vulamba, reste mobilisée pour soigner les animaux, mais alerte : sans un sursaut collectif pour gérer les déchets et encadrer les troupeaux, les ruminants continueront de mourir dans l’indifférence.