

L’objectif de cette étude est de mettre en lumière les défis auxquels sont confrontés les journalistes environnementaux en République démocratique du Congo, en particulier dans l’Est du pays. Il vise à attirer l’attention sur les conditions de travail extrêmement dangereuses causées par les conflits armés et l’exploitation illégale des ressources naturelles, notamment les minerais stratégiques. L’article souligne l’importance de protéger ces journalistes, garants de l’information sur les crimes environnementaux, dans un contexte de conflit où la nature est aussi une victime silencieuse.
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Introduction générale
Depuis fin 2021, la province du Nord-Kivu, à l’Est de la RDC, est plongée dans un regain d’insécurité faisant rebondir une insécurité chronique vécue depuis plus de 30 ans maintenant. Cette situation met en péril la biodiversité. Cette menace touche également les journalistes spécialisés dans l’environnement, pris en étau entre la violence des groupes armés et la censure. Ces professionnels mènent un double combat : celui contre la destruction de la nature, et celui contre les risques de répression ou d’agression.
Alors que le gouvernement et la communauté internationale dénoncent les actions du M23 visant à déstabiliser la région, les journalistes locaux rapportent que leur travail est devenu à la fois plus difficile et bien plus dangereux.
« C’est compliqué de couvrir les questions environnementales en temps de guerre, car le M23 est aussi impliqué dans la dégradation des aires protégées, même s’il le nie », explique Rugirama Munika (pseudonyme), journaliste environnemental basé à Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, proche du Parc National des Virunga.
« Avant, nous pouvions visiter les zones protégées régulièrement. Aujourd’hui, s’en approcher peut nous coûter la vie ou nous faire accuser d’espionnage », ajoute-t-il. « Parler de protection de l’environnement est devenu dangereux. On se fait des ennemis », conclut Rugirama.
Une crise écologique derrière les lignes de front

Le Nord-Kivu abrite le Parc national des Virunga, l’une des réserves de biodiversité les plus riches au monde, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais la guerre en a fait un champ de bataille. Plusieurs rapports des Nations Unies ont directement accusé le M23 d’être impliqué dans le trafic illégal de bois provenant du parc. En plus du bois, poursuit le rapport, ce groupe facilite l’exploitation des minerais stratégiques le cobalt, Coltan, uranium, l’or, diamonds, et autres dans les zones sous leur contrôle.
Le 30 avril 2024, la coalition M23-AFC a officiellement pris le contrôle de la ville minière de Rubaya, qui contient selon le gouvernement congolais 5 % des réserves mondiales de coltan –un minerai stratégique utilisé dans la fabrication des appareils électroniques–. Cette prise permettrait aux groupes armés de générer jusqu’à 800 000 dollars américains par mois, selon un rapport du Groupe d’experts de l’ONU cité par RFI le 10 janvier 2025.
Déjà, le 1er décembre 2024, Julien Paluku, ministre congolais du Commerce extérieur, dénonçait l’exploitation du pyrochlore –un autre minerais stratégique– par la même coalition, dans la chefferie de Bwito (territoire de Rutshuru), en réaction aux massacres de Kishishe perpétrés le 30 novembre 2024.
Un rapport confidentiel du 3 juillet 2025 des Nations Unies a confirmé que le M23 continue d’exploiter les ressources minières pour financer la guerre. Il cite notamment l’implication de l’entreprise rwandaise Boss Mining Solution dans l’achat de ces minerais dits pourtant « de conflit ».
Des enquêtes, dont celle de RFI du 10 janvier 2025, évoquent aussi d’autres groupes armés impliqués dans l’exploitation illégale des ressources naturelles. Face à cette situation, les éco-gardes sont débordés, souvent impuissants face au braconnage, à la coupe illégale et à la dégradation des écosystèmes.
Un journalisme en péril
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Dans ce climat d’insécurité, les journalistes n’osent plus couvrir ces sujets, de peur d’en devenir victimes. C’est un paradoxe regrettable, souligne Patrick Siku, journaliste environnemental basé à Beni, au nord du parc. « Les éco-gardes, comme les journalistes, travaillent dans des conditions inhumaines », témoigne-t-il. Il note que plusieurs groupes armés ont fait des Virunga leur base, rendant l’accès à certaines zones impossible. « Pour enquêter, par exemple, à la confluence de la rivière Semuliki sur les hippopotames, il faut renoncer : il n’y a aucune garantie de sécurité », regrette Siku.
Le journalisme environnemental, essentiel pour sensibiliser, est l’une des nombreuses victimes du conflit. L’intimidation, la surveillance constante et les accusations de collaboration avec l’ennemi rendent le métier invivable, affirme Cikwanine Thomas (pseudonyme), journaliste à Goma.
« Ce conflit limite nos déplacements et notre liberté d’expression. Certains collègues ont quitté la ville, d’autres ont arrêté le métier. Beaucoup pratiquent l’autocensure pour ne pas finir en prison, ou pire », confie-t-il.
Des voix réduites au silence, des récits jamais racontés
Le 27 février 2025, l’Union nationale de la presse congolaise (UNPC), section du Nord-Kivu, a dénoncé dans un communiqué je cite « l’enlèvement d’un journaliste, dans le but de faire taire la presse et d’instaurer la peur pour faire taire tous les médias », fin de citation.
Le 1er mars 2025, Journaliste en Danger (JED), ONG de défense des journalistes, a aussi dénoncé la disparition de Tuver Wundi, accusant la coalition M23-AFC d’en être auteur. Journaliste environnemental, Défenseur des droits humains, directeur provincial de la RTNC, enseignant universitaire et point focal de JED, Tuver Wundi a été détenu pendant 11 jours après son arrestation le 25 février, de quoi s’énerver JED et UNPC.
Pour de nombreux défenseurs des droits humains, cette arrestation est une attaque contre le droit fondamental à l’information, dans un contexte déjà marqué par les violations des droits humains et la dégradation environnementale. Déjà marginalisé et peu soutenu financièrement, le journalisme environnemental devient une tâche quasi impossible. La peur de représailles pousse nombre de journalistes à abandonner ces sujets, alors même que certaines autorités sont elles aussi soupçonnées d’être impliquées dans l’exploitation illégale tant du bois que des minerais.
Le gouvernement congolais plus attentif ?
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Déjà en Novembre 2022 à travers son livre blanc sur les crimes environnementaux commis par le M23, le gouvernement congolais accusait le M23 d’exploiter illégalement les ressources du Parc des Virunga. Les ONG environnementales locales ont confirmé ces allégations. Mais le M23 continue de nier cela. Jeudi 30 Janvier, le M23 a même menacé de poursuivre le Président de la République en justice pour diffamation, s’il arrivait au pouvoir, déclarations répétées en juin à Goma par le même mouvement.

Un front oublié dans la quête de justice
« Sans journalistes, personne ne documente les crimes environnementaux commis dans l’ombre du conflit », déplore Aimé Mbusa Mukanda, défenseur des droits humains à Rutshuru –chef-lieu du territoire portant le meme nom toujours au Nord-Kivu–. Le chercheur en sciences de l’environnement Kin Key Mbala (pseudonyme) ajoute : « Et sans conséquences, l’impunité règne », appelant à la justice environnementale.
Un appel à l’attention internationale
Cette crise dépasse la seule question de la liberté de la presse. Il s’agit du droit de rapporter sur la destruction d’écosystèmes vitaux. La communauté internationale, l’UNESCO, les ONG de défense des médias, les organisations environnementales et les défenseurs des droits humains environnementaux doivent reconnaître que le conflit fait taire la nature autant que les peuples.
Cette lutte doit beaucoup interesser l’ONU. Car, tenez, les objectifs 15 et 16 de Développement Durable appellent à rétablir la paix dans les zones riches en biodiversité. La préservation de la biodiversité, la réduction de la violence, l’accès à la justice et la bonne gouvernance tel que le veulent lesdits objectifs, “sont essentiels pour préserver les écosystèmes” de la RDC. L’ONU, aux côtés du gouvernement congolais, devraient donc redoubler leurs efforts de conservation dans ce sens. Car, « Si nous perdons la capacité de raconter ces histoires, nous perdons aussi la chance de protéger ce qui reste », déclare Umbo Salama, enseignant universitaire et journaliste environnemental basé à Butembo, ville commerciale du pays.
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Conclusion
Alors que l’attention mondiale se concentre sur la crise humanitaire et politique en RDC, la tragédie environnementale ne doit pas être oubliée. Lors de la Journée mondiale de l’environnement, le 5 juin 2025, Bienvenue Bwende, porte-parole de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), a déclaré le 5 Juin 2025 journée mondiale de l’environnement à l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR-GL) de Goma : « Suite à la guerre, le Parc des Virunga a perdu plus de 300 hectares de forêts entre 2021 et 2024 », appellant ainsi à un retour de la paix pour une conservation possible. Tous les intervenants lors de la dite journée ont reconnu que seule une paix durable permettra une conservation efficace de la biodiversité du pays. Une solution réelle et urgente est indispensable.
John TSONGO